Le témoignage de Joseph Roiron, séminariste français au Brésil

Retrouvez l’intÉgralitÉ du tÉmoignage de Joseph Roiron, un sÉminariste franÇais de 27 ans en mission dans une favela BrÉsilienne.

Depuis Conceiçao do Araguaia, Brésil :

 

Chers amis bonjour !

Voilà quelques années que me trottait en tête ce projet de partir dans un coin du monde comme missionnaire… Missionnaire, un mot qui me faisait rêver, et qui je le sais, en fait encore rêver plus d’un comme moi ! Et voilà qu’aujourd’hui, j’ai reçu la grâce de voir mon rêve s’estomper pour laisser place à cette si belle réalité de missionnaire. Réalité qui n’a rien à voir avec mon rêve initial, mais après tout, les rêves sont faits pour nous faire avancer, pas pour être minutieusement réalisés ! Effectivement, au grès de l’actualité, on écoute des missionnaires mourir lépreux, brûlé, torturé ou assassiné, et ce n’est pas forcément ce qui fait rêver… Mais c’est la réalité. Actuelle. Belle ? Oui. Parce que ces missionnaires sont allés jusqu’au bout dans l’annonce de l’Evangile. Et n’oublions jamais que le martyr est une semence de chrétien !

Moi ? non, je n’en suis pas là… Et je n’arrive même pas à la cheville de ces grands missionnaires méconnus, qui apparemment

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Joseph et quelques enfants de la favela

n’ont pas fini de manière très glorieuse et pourtant sont aux premières loges, là au ciel, auprès du bon Dieu ! Je suis Joseph, séminariste français de 27 ans. Renté en propédeutique à Aix-en-Provence il y a 5 ans pour discerner une vocation sacerdotale, et me voilà aujourd’hui en mission aux portes de l’Amazonie depuis déjà 18 mois.

Mission. C’est-à-dire que je suis au service de l’annonce de l’Evangile là ou il y en a le plus besoin. En l’occurrence, j’habite une petite ville au Brésil de 30000 habitants, dans le quartier le plus pauvre. D’autres appelleraient ça une favela. Pour rentrer un peu dans la réalité du quartier, fermez les yeux, et commencez à imaginer des hommes , des femmes et des enfants sans aucun repère. C’est difficile à imaginer car nous n’avons pas ça chez nous. Je vous aide. Enlevez tout d’abord les repères de l’origine, de la terre. Ces hommes et ces femmes ne sont ici que depuis peu de temps. Ils ont immigrés il y a quelques années, et ont conquis leur lopin de terre à coup de revolver. Enlevez ensuite le repère de la famille proche. Vous savez, ce que nous appelons papa, maman, fils et filles chez nous n’existe pas là-bas. Jamais le père ne reste avec sa femme bien longtemps. Enlevez donc aussi le mot « mariage » de votre vocabulaire. Remplacez le par le mot « sexe », « abus », « prostitution », et souvent « inceste ». Et ainsi tout le quartier se retrouve avec des liens de sang. Enlevez encore le repère de ce que nous appellerions « valeurs ». L’honneur, la parole donnée, la galanterie, le service et je ne sais quoi d’autre. Ici, au quartier, on viole et on ment pour s’excuser, ou on tue qui nous a vu. On  vole pour se droguer, on boit pour oublier. Et ce n’est pas tout ! Enlevez encore le repère de la foi, de la religion, de Dieu. Si Dieu fait partie du quotidien au Brésil, on ne peut pas dire que l’amour soit le quotidien du quartier. Et pourtant Dieu est amour. Pas de foi, pas d’amour. Je crois que là, vous y êtes à peu près, vous pouvez réouvrir les yeux et vous y êtes, dans mon quotidien.

Concrètement, au milieu de tout ça, ma mission est d’être un signe de l’amour de Dieu, un repère là ou il n’y en a pas. Ma mission, c’est d’aimer pour montrer que l’amour est possible, c’est de vivre pour montrer qu’une autre vie est possible. C’est d’évangéliser par ma vie, mes actes et mes paroles. Là, vous voilà dans le cœur de ma mission. Toutes mes « actions », humanitaires ou sociales, ne sont qu’accessoires.  Finalement, elle n’ont qu’une minuscule portée au milieu de tant de nécessités, ce qui ne veut pas dire que je passe mes journées les bras croisés ! Chaque jour, lever à 5h30, puis direction la chapelle pour une heure et demi de prière. Et combien d’enfants sont déjà là, à la fenêtre de la chapelle, observants et se demandant ce que nous faisons à genoux et en silence si longtemps ! Parcequ’en dehors de ces moments, le silence ne fait pas vraiment partie de notre quotidien.

Nous, c’est une petite communauté de jeunes en discernement vocationnel, désirant devenir prêtres, moines, religieux, missionnaires, ou consacrés. On appellerait ça une propédeutique, à la différence près que notre communauté est mixte, et est plus axée sur la mission que sur la formation, mais avec le même objectif de discernement vocationnel. L’évêque m’en a confié la responsabilité au début d‘année. Responsabilité de la communauté et accompagnement des propédeutes. Nous habitons donc ensemble dans une humble maison du quartier, avec pour seul luxe le Saint Sacrement dans une chambre transformée en chapelle. Sinon, un matelas et une chaise par personne, un ventilateur pour deux, une table et une ampoule électrique pour tous : voilà tout notre mobilier.

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Enfants de l’Associaçao

Revenons à notre quotidien. Passé ce temps de prière dans notre chapelle, nous nous rendons à la chapelle Saint Joseph du quartier, et retrouvons là une quarantaine de gamins avec lesquels nous animons une prière du matin. Chant, Pater et Avé, plus une prière à l’ange gardien. Nous leur offrons ensuite un petit déjeuner en fonction des dons en nourriture que nous avons reçus la veille.

A propos de notre fonctionnement financier concret, tout ne fonctionne qu’avec des dons. C’est vraiment la Providence qui nous nourrit. Durant la journée, nous visitons les supermarchés de la ville pour tenter de gagner des aliments en limite de péremption, nous visitons les grands magasins pour gagner des habits ou des chaussures, nous visitons les fermes pour gagner un peu de viande ou de lait, nous visitons les poste d’essence pour gagner un plein d’essence pour notre vieux van qui nous sert tant, nous visitons les garages pour gagner une réparation de ce même van, nous visitons les vendeurs de gaz pour gagner une bonbonne, nous faisons des annonces à la fin des messes pour gagner le minimum d’argent nécessaire pour payer l’électricité, nous visitons les écoles pour gagner des vieux livres pour étudier, nous visitons les papeteries pour gagner des cahiers et des crayons, nous visitons les facs pour recruter des étudiants volontaires bénévoles stagiaires qui puissent venir donner des cours de renfort scolaire aux enfants, nous visitons les familles des paroissiens pour recruter des mamans volontaires pour nous aider à faire la cuisine, … Nous visitons, nous visitons, nous visitons… Et la Providence ne nous a jamais abandonné. Du jour pour le lendemain. Nous n’avons aucune réseve d’argent, et presque pas de réserve de nourriture. Juste un congélateur qui n’a pas le temps de se remplir que nous le vidons déjà… Voilà donc une partie de notre travail quotidien, après la prière du matin ! Visiter, et demander.

Pour revenir à notre « emploi du temps », les journées sont bien remplies, entre le catéchisme, le renfort scolaire, les jeux,

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Joseph et les enfants de l’Associaçao

mais aussi la cuisine, et le ménage. Deux fois par semaines, nous visitons les proches des enfants qui nous sont confiés, pour comprendre leurs difficultés. Dans la rue à 5 ans, consommateurs de drogues à 7 ans, abusées à 11 ans, enceintes à 12 ans … Connaître les proches évite de juger les comportements, aide à aimer, et donc inicie un processus de sortie, de guérison. Tous les soirs, nous prions le chapelet pour ces enfants et partageons sur les réalités rencontrées durant la journée. Dures réalités à ne surtout pas garder pour soi sous peine de ne pas tenir sur la durée. Faim, violence, suicide, abus, … nous ne résolvons rien, nous ne sommes que des intercesseurs et confions tout ça à Notre Dame durant le chapelet du soir. Seule Elle a la solution, parce que Jésus est la solution. A 23h, nous éteignons l’unique ampoule de la maison pour nous endormir après une journée de mission bien remplie.

Vous voyez, il n’y a pas le temps de s’ennuyer dans une vie de missionnaire ! Dans cette belle réalité de missionnaire telle que je vous la décrivais au début… Il y a tant d’amour à donner, de sourires à distribuer, de plaies à

panser, de personnes à soulager… Le corps du Christ souffre beaucoup, à travers ses membres, de n’être que si peu aimé… Et comme le dis si bien saint Paul en 2Co 5, 14 : « L’amour du Christ nous presse ! », alors en avant !

 

JOSEPH ROIRON

Séminariste du diocèse de Digne

 

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